UNE ORQUE DANS LA SEINE

© Alan Limoges – image extraite d’une vidéo

Vous avez probablement suivi « l’évènement très médiatisé » de l’orque qui a remonté la Seine en cette fin mai 2022. Beaucoup de choses ont été dites dans la presse et sur les réseaux sociaux, avec plus ou moins d’exactitude.
Le GECC, qui a été très présent dans le suivi de ce cétacé, vous propose de retracer la chronologie de cette histoire inédite en France.

par
Gérard Mauger, fondateur du GECC et vice-président chargé des études
et Delphine Eloi, directrice – 13 juin 2022

Acte 1 : du 16 au 24 mai 2022

JEUDI 19 MAI

  • Le GECC découvre un article sur l’espace web du journal 76actu publié la veille à 19 :04 :  « VIDÉO. Une orque aperçue sous le pont de Normandie par des remorqueurs du port du Havre ».
    Extraits : « C’est un événement exceptionnel. Mardi 17 mai 2022, cinq remorqueurs du port du Havre ont aperçu une orque passant sous le pont de Normandie », « Voilà trois jours que ces hommes croisent le cétacé entre Tancarville et le pont de Normandie ».
  • Dans le cadre du réseau d’observateurs de mammifères marins en Normandie et d’OBSenMER, le GECC lance une opération de sensibilisation afin d’obtenir plus d’informations et  reconstituer la chronologie des observations.
    Le GECC contacte :
    • la vigie du port du Havre pour essayer d’en savoir plus et obtenir les coordonnées des remorqueurs,
    • le journaliste de 76 actu pour récupérer les coordonnées des personnes qui ont vu et filmé l’orque dans le but d’obtenir des précisions sur leurs observations,
    • plusieurs professionnels du port du Havre pour leur demander de signaler en direct au GECC toute nouvelle observation de l’orque.
  • Synthèse des observations de l’orque :
    • Lundi 16 Mai : devant le phare de Tancarville et le Pont de Normandie mais personne n’est parvenu à la prendre en photo,
    • Mardi 17 Mai : sous le pont de Normandie et près du Pont de Tancarville. Aucune image,
    • Mercredi 18 Mai : près de Honfleur, près du Pont de Tancarville et sous le Pont de Normandie. Les premières images sont diffusées.
© Christophe Carval, patron du bateau-pilote « Le Macareux »
Gros plan
© Alan Limoges – image extraite d’une vidéo – sous le Pont de Normandie
Gros plan

Le GECC réalise une première synthèse

Aucune observation de l’orque signalée ce jour du 19 mai 2022.

Point sur les premières observations. Du 16 au 18 mai 2022, une orque a été vue à plusieurs reprises dans l’estuaire de la Seine, par des remorqueurs et des bateaux-pilotes, entre Tancarville, Le Pont de Normandie et plus au large. Elle est mobile et, d’après ceux qui l’ont observée, ne semble pas en difficulté. Elle a toujours été vue seule (ce qui est assez inhabituel chez les orques qui vivent en groupes sociaux).

Le GECC analyse attentivement les images de l’orque fournies par les observateurs. Celles-ci sont de qualité moyenne, mais peuvent laisser supposer que l’animal est un peu amaigri et font apparaître un effondrement de la nageoire dorsale. Le GECC, comme les autres spécialistes consultés, avec les images à sa disposition, émet alors l’hypothèse qu’il pouvait s’agir d’un mâle. Cette suggestion a d’ailleurs tenu jusqu’au survol par un drone qui a permis de mieux distinguer la taille et la forme de nageoire dorsale, finalement plus caractéristiques d’une femelle. Ce qui a été confirmé par l’autopsie plus tard.

L’absence d’observation ce 19 mai interroge : l’orque est-elle retournée vers le large? Aucune intervention sur le terrain ne peut être sérieusement envisagée tant que l’on ne sait pas où elle se trouve.

Notre priorité : mobiliser des observateurs pour aider à la repérer si elle est encore dans les parages. Le GECC poursuit son opération de sensibilisation auprès des professionnels.

L’information commence à circuler largement sur les réseaux sociaux et la presse : Ouest France, Actu.fr, France3-régions, Voiles et voiliers…  

Par exemple, France 3 Normandie publie : « Vidéo : des orques filmées en Normandie, bonne ou mauvaise nouvelle ? Depuis plusieurs jours, une orque a élu domicile entre Honfleur et Tancarville. Pilotes de Seine et pêcheurs ont pu prendre le mammifère en photo et vidéo. En avril, un autre cétacé a été vu dans la Manche. Comment expliquer la présence de cet animal en Normandie? La journaliste fait le lien avec l’orque observée début avril. Elle cite le GECC et OBSenMER en s’appuyant probablement sur les articles publiés à l’époque. Elle relaie l’avis de l’association le C.H.E.N.E. d’Allouville Bellefosse en Seine-Maritime (Centre d’Hébergement et d’Étude sur la Nature et l’Environnement, centre de sauvegarde pour tout animal en détresse).

VENDREDI 20 MAI

Aucune observation de l’orque signalée ce jour du 20 mai 2022

Le GECC poursuit son travail d’enquête et de sensibilisation.

SAMEDI 21 MAI

Aucune observation de l’orque signalée ce jour du 21 mai 2022.

Le GECC poursuit son travail d’enquête et de sensibilisation.

DIMANCHE 22 MAI 

Plus de 3 jours après la dernière observation dans l’estuaire de la Seine, la gendarmerie de Routot (27350) signale au GECC la présence d’une orque, observée à plusieurs reprises, dans les environs de Jumièges (dernière localisation à Barneville-sur-Seine en fin de matinée).

L’orque a remonté la Seine sur près de 60 km sans que personne ne l’ait vue ou signalée ! Même si, dans d’autres régions du monde, certaines orques ont pu parfois être signalées loin dans les fleuves, le GECC reste en contact avec la gendarmerie et diligente une équipe sur place depuis Cherbourg.  

Sur la route, l’équipe du GECC appelle les clubs nautiques des environs, mais le dimanche, beaucoup d’entre-eux sont fermés. PELAGIS et le CHENE sont informés. De leur côté, ils n’ont pas reçu de signalements de l’orque.

Près de 250 km pour aller sur les lieux !

Une fois sur place l’équipe du GECC entame les recherches pour tenter de retrouver l’orque et sensibilise les riverains ainsi que les marins des bacs qui effectuent la traversée de la Seine. Objectif : dans le cadre du réseau régional d’observateurs de mammifères marins, recueillir toute observation de l’orque (plaquettes réseau d’observateurs distribuées). La directrice du GECC, en contact permanent avec la gendarmerie, demande s’il est possible de mobiliser la brigade fluviale pour aider à réaliser une prospection. La brigade étant déjà en opération, il est difficile de les solliciter en dehors d’un danger grave et immédiat. Les autres tentatives pour trouver des bateaux restent infructueuses. Les longues recherches depuis les berges ne mènent à rien : l’orque est introuvable.

LUNDI 23 MAI

La directrice du GECC poursuit les investigations et apprend rétrospectivement que l’orque a été vue par des pratiquants de kayak quelques jours plus tôt, le vendredi 20 mai à une dizaine de kilomètres de Caudebec-en-Caux (Aizier). Elle reçoit un nouvel appel de la gendarmerie de Routot à 10h. L’orque est signalée dans les environs de Barneville-sur-Seine. La gendarmerie accepte de donner les coordonnées de l’observateur : celui-ci habite le secteur et a observé l’orque plusieurs fois le matin depuis les berges de la Seine.

Le vice-président du GECC se rend à Barneville-sur-Seine pour rencontrer l’observateur (12h30) qui a, entre-temps, perdu l’orque de vue. Il parcourt en vain les berges de la Seine sur plusieurs dizaines de kilomètres ; ce qui est difficile, du fait de l’accessibilité peu commode des berges de la Seine (propriétés privées, chemins de halage piétonniers, bois et falaises…).

© Julie Hervieux – les rives de la Seine (vue du bac de Jumièges)

En parallèle, l’équipe du GECC poursuit les recherches d’observations et de photographies (rappel des clubs nautiques, remorqueurs…) pour tenter de localiser l’orque.

14h30 : le GECC reçoit un appel d’un marin du bac de Yainville qui a aperçu furtivement l’animal.

Le vice-président se rend sur place et après 2 heures passées à arpenter les rives du fleuve, à 16h45, l’animal est enfin repéré aux jumelles près de Jumièges. Le suivi est compliqué du fait de la largeur de la Seine, des berges pas toujours accessibles, des longs déplacements de l’orque en apnée…

Il réussit cependant à filmer furtivement l’animal depuis la berge au téléobjectif (500 mm) pendant quelques secondes à plus de 150 m de distance. À chaque fois que l’orque plongeait, elle ressortait à plusieurs centaines de mètres de l’endroit où elle se trouvait. Finalement, la trace de celle-ci est perdue vers 18h00. La poursuite de la recherche ne donne rien.

Conclusions de l’observation directe :  l’orque est mobile, effectue de temps à autres des frappes de l’eau avec sa caudale et reste très peu de temps en surface. Elle est très difficile à repérer : temps de surface court, corps peu émergé au-dessus de l’eau, tête jamais apparente, apnées plutôt longues. Ce qui explique probablement pourquoi elle n’a été observée qu’une fois entre l’estuaire de la Seine et Jumièges ce jour (soit près de 60 km en amont du Pont de Normandie) alors qu’elle a traversé des zones habitées.

Figure 1 – Carte des positions de l’orque entre le 18 et le 23 mai 2022. L’orque a parcouru environ 60 kilomètres en amont du Pont de Normandie

Avec l’aide des médias, le GECC multiplie ses appels au signalement des observations de l’orque.

MARDI 24 MAI

Après avoir dérushé ses images vidéo en HD, gelé et agrandi des images, le vice-président, découvre ce qu’il n’avait pas vu à l’œil nu ni aux jumelles : l’orque est amaigrie, sa peau est abîmée et présente quelques traces pouvant faire penser à une mycose. Il appelle alors l’Observatoire Pelagis, coordonnateur du Réseau National Échouages, et référent pour les situations sanitaires des mammifères marins. La description de ses observations et les photographies leur sont transmises (ci-dessous).

© Gérard Mauger – images de l’orque – 23 mai 2022

Le GECC prend contact avec l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et avec des experts du suivi des populations d’orques.

Le GECC décide de suspendre les dossiers en cours et réunions programmées pour se consacrer à cet événement. Il poursuit la sensibilisation des riverains et les marins des bacs qui effectuent la traversée de la Seine pour signaler leurs observations de l’orque, perdue de vue depuis la veille au soir.

L’information circule à grande vitesse sur les réseaux sociaux. Le GECC commence à être très sollicité par les médias.

La suite un peu plus tard…