Comment connaître le sexe des grands dauphins ?

  • 18 août 2014
  • |
    • Actualités

Connaître le sexe des animaux que l’on étudie est une information précieuse qui permet d’approcher d’autres paramètres démographiques que ceux habituellement étudiés, tels que le taux de fécondité (le rapport entre le nombre de naissances et le nombre de femelles en âge de procréer), par exemple. C’est un outil intéressant pour décrire et mieux connaître une population animale.

Mais comment faire lorsque la différence sexuelle n’est pas visible au premier coup d’œil ?

Chez certains animaux, la différence sexuelle est évidente. Ainsi, les orques mâles (Orcinus orca), par exemple, ont un aileron dorsal beaucoup plus grand que celui des femelles. Même chose pour les lions (Panthera leo), où il n’est pas possible de confondre mâles et femelles, grâce à la crinière majestueuse que porte le roi des animaux.

Chez les grands dauphins, la situation se complique car le dimorphisme sexuel (la différence entre les mâles et les femelles) est très faible chez cette espèce. Certes, les mâles sont plus grands que les femelles, mais cette différence n’est pas criante. En mer, on ne voit généralement que les dos, les ailerons et parfois les nageoires caudales des grands dauphins, mais il est assez rare de voir leur corps tout entier. Et, lorsque cela se produit, c’est-à-dire lorsque les animaux sautent, tout va tellement vite, qu’il est impossible de reconnaître avec certitude un mâle d’une femelle.

De plus, pour favoriser l’hydrodynamisme, les parties génitales des mâles et les mamelles des femelles grands dauphins sont cachées dans les fentes prévues à cet effet. Pour connaître le sexe d’un grand dauphin, il faudrait pouvoir observer suffisamment longtemps son ventre, ce qui est impossible en mer !

Face à ce casse-tête, les chercheurs ont mis en place différentes techniques, plus ou moins élaborées, pour sexer ces animaux. Le sexage moléculaire fait partie de ces différentes méthodes de sexage.

Le sexage moléculaire

Cette méthode permet de connaître le sexe des grands dauphins en prélevant des morceaux de peau sur des animaux vivants. Les prélèvements se font à l’aide d’une arbalète et d’une flèche. Cette dernière est équipée d’un trépan : il s’agit d’une petite lame ronde qui ponctionne et retient la peau et le lard de l’animal. Le prélèvement de peau, appelé aussi biopsie, est ensuite analysé en laboratoire.

Cette méthode est intéressante car elle donne des résultats très exacts : on connaît avec certitude le sexe des grands dauphins biopsiés. Mais elle présente aussi plusieurs gros défauts. Tout d’abord, elle est très coûteuse. Elle ne peut donc être réalisée trop souvent et sur beaucoup d’individus. Ensuite, elle est très intrusive : elle dérange et effraye les animaux et provoque chez eux de l’inconfort, voire même de la douleur. Enfin, il est difficile d’échantillonner correctement toute une population car certains individus ne se laissent pas approcher, ce qui entraîne un biais dans les analyses.

La méthode de sexage du GECC : indolore et efficace !

En 2012, le GECC, pour les besoins de son étude grand dauphin (voir https://www.gecc-normandie.org/etudes-scientifiques/), a réalisé plusieurs biopsies sur les grands dauphins de la mer de la Manche.

Grâce à ces prélèvements, 79 animaux de cette population ont été sexés par analyse moléculaire. Cet échantillon comprend 22 femelles et 57 mâles, dont 58 adultes, 21 sub-adultes. Ces 79 individus constituent une liste de référence : une liste d’individus dont on connaît le sexe avec certitude.

A la lumière de cette liste de référence, le GECC a voulu sexer le reste de la population. Pour ce faire, il s’est penché avec attention sur ses données, soit les 70 000 photographies prises entre 2004 et 2013 qui composent sa base de données.

D’après plusieurs études scientifiques, il apparaît que chez les grands dauphins,

  • les mâles adultes s’associent entre eux, tandis que les femelles adultes s’associent entre elles, mais aussi avec les nouveau-nés et les juvéniles,
  • les nouveau-nés et les juvéniles vivent associés, voire collés à leur mère,
  • les mâles présentent plus de marques (encoches et griffures) sur leur aileron que les femelles.

En tenant compte de ces remarques, le GECC a défini trois indicateurs pour sexer les grands dauphins de la Manche : le pourcentage d’associations partielles, l’association réelle avec un nouveau-né ou un juvénile et l’indice du niveau de marquage.

1 – Le pourcentage d’associations partielles

Cet indicateur porte sur la proportion de photographies où un même individu est vu avec un nouveau-né ou un juvénile, par rapport à l’ensemble des photographies où il apparaît en groupe.

Concrètement, il faut faire des maths et calculer le pourcentage de photographies sur lesquelles apparaît le grand dauphin que l’on veut sexer accompagné d’un nouveau-né ou d’un juvénile, divisé par le nombre total de photographies où il apparaît accompagné au minimum d’un autre dauphin.

Pour augmenter l’exactitude des résultats, le GECC s’est imposé, de manière arbitraire, trois conditions supplémentaires :

  1. l’individu à sexer doit être identifié sur un minimum de deux années différentes ;
  2. ce même individu doit être identifié lors de trois sorties différentes ;
  3. le nombre de photographies sur lesquelles apparaît l’individu doit être supérieur à 15. Ce chiffre a été choisi arbitrairement.

2 – L’association réelle avec un nouveau-né ou un juvénile

Cet indicateur ne permet de sexer que les femelles adultes. Lorsqu’on repère sur une photographie un individu adulte qui est associé au moins à deux reprises – c’est-à-dire sur deux photographies ne se suivant pas – à un nouveau-né ou un juvénile, nous pouvons l’identifier comme étant une femelle. Dans ce cas « associé » veut dire que le dauphin touche ou se trouve distant de moins d’une demi-longueur du nouveau-né ou du jeune et que ces deux individus nagent dans la même direction.

De nombreuses structures, telles que la SeaWatch Foundation, se basent sur cette évidence pour sexer les femelles et pour suivre les naissances dans la baie de Cardigan, en Angleterre.

3 – L’indice du niveau de marquage

Cet indicateur se base sur le nombre d’encoches et de griffures visibles sur l’aileron dorsal des grands dauphins. Quatre niveaux ont été définis qui tiennent compte de l’importance des marques (voir tableau 1). Chaque aileron est noté selon ces deux critères, la moyenne constitue le niveau de marquage.

Tableau 1 : Caractéristiques des quatre niveaux d’encoches et de griffures :

 Niveau d’encochesNiveau de griffures
1Une ou deux encochesMoins de deux griffures
2Quelques encoches bien visiblesQuelques griffures bien visibles.
3Beaucoup d’encoches mais pas sur toute la longueur de l’aileron.Beaucoup de griffures mais aileron n’a pas encore perdu sa pigmentation pour devenir blanc.
4Beaucoup d’encoches sur l’ensemble de l’aileron.Beaucoup de griffures, le haut de l’aileron a perdu sa pigmentation. Il est devenu blanc.

Avec l’aide de Pascal Monestiez, chercheur à l’INRA, ces trois indicateurs ont été testés au moyen des matrices de confusion.

Les matrices de confusion mesurent la qualité des résultats obtenus par chacun des trois indicateurs en les comparant aux 79 individus de la liste de référence. Concrètement, les matrices de confusion confrontent les valeurs vraies de la variable – en l’occurrence le sexe des 79 individus sexés par analyses moléculaires, que nous savons être exact et que nous avons désigné ici sous le nom de sexe vrai – avec celles qui sont prédites, puis comptabilisent les bonnes et les mauvaises prédictions.

Les matrices de confusion permettent à la fois d’appréhender le taux de succès de la méthode et de rendre compte des sources d’erreur dans la classification.

Quels résultats pour la méthode de sexage du GECC ?

Les résultats montrent que la méthode la plus adéquate pour le sexer les grands dauphins de la mer de la Manche repose sur la combinaison des trois indicateurs. Cela s’explique par le fait que cette combinaison des trois indicateurs est très restrictive ; en conséquence, elle isole d’elle-même les individus litigieux, c’est-à-dire ceux pour lesquels le risque d’erreur est grand au moment de déterminer leur sexe.

Cette méthode présente un taux de succès corrigé de 100%, c’est-à-dire que le sexe de tous les individus qui respectent les conditions fixées par les trois indicateurs est déterminé sans aucune erreur.

Au final, le sexe de 279 grands dauphins de la mer de la Manche est connu. Cet échantillon se répartit comme suit : 149 mâles, dont 11 sub-adultes, et 130 femelles, dont 12 sub-adultes, soit un sexe-ratio (rapport du nombre de mâles sur le nombre de femelles) de 1,1.

Tableau 2 : Nombre d’individus identifiés et sexés entre 2009 et 2013

AnnéeNombre d’individus identifiésNombre d’individus marquésNombre d’individus lissesNombre de mâlesNombre de femellesSexe inconnuPourcentage d’individus sexés
200939522916611010418154%
201043524419112910420254%
201130724166119949469%
201225922633103817571%
20132141942094774380%

>> Cliquez ici pour télécharger ou imprimer cet article

Pour en savoir plus sur la méthode de sexage du GECC


François GALLY. 2014. Les grands dauphins sédentaires Tursiops truncatus du golfe normand-breton : distribution, estimation et structure sociale de la population entre 2009 et 2013. Diplôme de l’EPHE, 88 p.

François GALLY. 2014. Suivi de la population des grands dauphins sédentaires du golfe normand-breton et de la baie de Seine. Rapport de synthèse du GECC pour l’année 2013. 103 p.

Jennifer LIBOTTE, François GALLY. 2014. Elaboration of a specific sexing protocol to the population of bottlenose dolphins (Tursiops truncatus) from the Normand-Breton gulf. Poster présenté à l’ECS